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Les drôles de vacances (4)

Quand Emmanuel Macron déclare que la France "est en guerre" contre le virus, il pratique la même récupération politique que ses ancêtres de 1918 qui proclamèrent Guillaume Apollinaire "mort pour la France", alors que le poète avait succombé à la grippe espagnole - fléau dont les ravages furent d'ailleurs censurés par les autorités dans un premier temps, comme en Chine aujourd'hui.
Macron ne nous intéressant que médiocrement, préférons-lui deux des "Poèmes à Madeleine" qu'Apollinaire écrivit pendant qu'il combattait dans les tranchées. Je les illustre, ci-dessus, par un autoportrait d'Egon Schiele, lui aussi mort de la grippe espagnole le 31 octobre 1918, trois jours après sa femme.
C'est une nuit d'orage
Le tonnerre fait rage
La mitrailleuse aussi
Mais je suis bien ici
Je pense à vous ma fée
De raisins noirs coiffée.
Le Neuvième poème secret
J'adore ta toison qui est le parfait triangle
De la Divinité
Je suis le bûcheron de l'unique forêt vierge
O mon Eldorado
Je suis le seul poisson de ton océan voluptueux
Toi ma belle sirène
Je suis l'alpiniste divin de ta bouche si belle
O mon très cher carquois
Et je suis le haleur de tes cheveux nocturnes
O beau navire sur le canal de mes baisers
Et les lys de tes bras m'appellent par des signes
O mon jardin d'été
Les fruits de ta poitrine mûrissent pour moi leur douceur
O mon verger parfumé
Et je te dresse ô Madeleine, ô ma beauté sur le monde
Comme la torche de toute lumière
Puisque nous nous approchons du Printemps de la poésie, pourquoi ne pas passer quelques instants avec une écrivaine contemporaine que j'ai entendue pour le première fois l'an dernier au Chat Noir de Carouge ? Cécile Coulon, dont le portrait figure ci-dessus, est l'antithèse de la poétesse éthérée. Cette jeune femme née il y a 30 ans dans le Puy-de-Dôme, pratique assidûment le jogging, ce qui ne l'empêche pas de craquer devant une portions de frites au ketchup. Elle préfère vivre à Clermont-Ferrand qu'à Paris. Les éditeurs ayant refusé ses premiers poèmes, elle les a publiés sur Facebook, pour tout le monde. Le succès venu, les d'éditeurs se sont précipités pour qu'elle publie des recueils sur papier.
Cécile Coulon a pris cela avec l'humour et bon sens qui la caractérisent. Elle continue de publier sur Facebook. Voici son dernier poème, dont le titre est un clin d'oeil à nos frustrations du moment...
QUAND NOUS SORTIRONS D’ICI
Quand nous sortirons d’ici
j’irai devant la porte de la grande maison
déposer un bouquet de crayons noirs
dans du papier buvard que j’ai trouvé chez moi
en rangeant le bureau où tu travaillais,
les yeux baissés dans la lumière :
quand tu levais la tête
ton sourire m’éclaboussait.
Quand nous sortirons d’ici
les oiseaux seront surpris de nous revoir,
les renards dans la forêt seront bien tristes,
je serai triste avec eux de ne pas te retrouver.
Je cacherai ma peine dans la joie de la grand-rue
où je marchais hier avec le souvenir
que la nuit nous y avions laissé des petits baisers
et de grands projets perdus.
Quand nous sortirons d’ici
ma grand-mère m’offrira des feuilles de menthe.
Je prie déjà pour trouver au courrier une lettre
comme un cours d’eau cherche sa pente
avec dans le cœur l’idée furieuse
qu’une planète malade ne sépare pas ceux qui s’aiment,
ceux qui s’aiment sont assez bêtes
pour se séparer d’eux-mêmes.
Quand nous sortirons d’ici
je veux dire par là de ce monde vivant,
de cette terre, de cette fosse d’orchestre
où nous jouons maladroitement de nobles instruments,
je penserai à nos merveilles
qui j’espère auront le luxe d’être enterrées
dans la tombe du ciel.
Quand nous sortirons d’ici
les yeux clos comme ceux des chatons et des chiots,
les lèvres un peu sèches de n’avoir pas embrassé,
le cœur un peu sec de n’avoir pas mieux aimé,
je piquerai dans mes cheveux longs
la première fleur du printemps.
J’imagine déjà la joie au prochain bal populaire
sous les arbres géants de la Drôme endormie ;
en attendant que nous sortions d’ici
je n’ai plus une larme à me mettre aux paupières.
***
Oui, bon, mais dans tout cela, le virus? Tout en respectant les consignes, je refuse qu'il envahisse mes pensées - plus que virus lui-même, d'ailleurs, plutôt les angoisses plus ou moins fondées qu'il suscite. Conseil d'ex-journaliste: ne pas s'accrocher en permanence à chaque nouvelle, même si les médias se mettent en quatre pour "vous servir". Le piège réside moins dans les informations elles-mêmes, globalement bien rapportées, que dans le vocabulaire anxiogène véhiculé inconsciemment par les présentateurs, y compris dans leurs liaisons les plus banales. S'y ajoute le traditionnel effet de surenchère: même face à un enjeu d'intérêt public, on cherche à faire mieux que le voisin, on en rajoute. Ainsi, modérer sa consommation de radio-TV et de journaux est un réflexe de base.
A part ça, il existe un moyen simple de se préserver. Un moyen que rappelle n'importe quelle série "B" où l'on voit un truand sur lequel se referme - avec un sinistre claquement métallique réverbéré en écho, of course - la porte de sa cellule. Que fait-il après avoir déposé son baluchon sur la couchette, découvert le lavabo, la tinette, la petite tablette de travail, le soupirail ? Il organise ses journées, crée des routines. Une demie-heure de gymnastique à telle heure. Penser à une personne que l'on aime. Prier s'il l'on croit. Lire. Chanter pourquoi pas. Bricoler. Ecrire. Ranger. Tous les récits d'otages convergent sur ce point: seules des habitudes entretenues avec une grande discipline permettent de tenir dans des conditions extrêmes.
Or nous ne vivons pas des conditions extrêmes. Nous sommes des otages confortablement isolés à domicile, pour une période qui se révélera probablement plus longue à vivre que ce que la plupart d'entre nous ne l'imaginons à ce stade, mais avec une issue en vue, et pleins de moyens pour communiquer.
Ce bon vieux téléphone par exemple. Hier, je pédalais en direction d'Echallens - en respectant la "distance sociale", hein, ce sont plutôt les nombreux camions de chantier sillonnant le plateau qui tendent à la grignoter en dépassant les cyclistes - quand mon téléphone a sonné. Mon ex-collègue Sonia Zoran m'appelait depuis son jardin de Chexbres qu'elle sarcle de son mieux vu son rhume des foins. Nous avons parlé de la vie qui va, de la difficulté d'émettre, en ce moment particulièrement, des avis divergents sur les réseaux sociaux face à des gens qui montent les tours pour un rien, des initiatives intéressantes qui se prennent un peu partout. Nous avons échangé des nouvelles des amis. Cette conversation nous a fait du bien aux deux. La conseillère municipale Catherine Armand de Chêne-Bougeries fait le même constat: elle qui détestait le téléphone commence à y prendre goût.
La Poste fonctionne encore. Pourquoi ne pas écrire ? Oui: des lettres, manuscrites même. Ou, excellente suggestion vue sur FB, compenser l'interdiction de visite dans les EMS en envoyant des dessins à un grand-père, une grand-mère qui s'y trouvent confinés, voire aux résidents en général.
Pour l'instant, il n'est pas interdit de sortir, en respectant les précautions d''usage. Plusieurs paysans proposent des marchés à la ferme ou self-service, l'occasion de prendre le soleil et de se nourrir sainement. Par exemple:
La ferme des Huttins à Ecublens près Lausanne
Nicolas Flotron à Forel, qui a été un des chanteurs du ranz des vaches à la dernière Fête des Vignerons
La ferme bio Vuillemin à Pomy
Côté vivres spirituelles, Le Monde Diplomatique republie un article vieux de cinq ans mais plus que jamais d'actualité: "Ce dont nous avons vraiment besoin", nourri entre autres des réflexions de l'indispensable André Gorz. Dans la même veine, Johann Rochel propose un café philosophique en ligne ce mercredi soir sur les questions éthiques soulevées par la crise du coronavirus. J'essaierai de le suivre.
Et pour finir, voici un échantillon d'humour - parfois involontaire - qui égaie nos journées. Comme dit Fred Valet, qui l'a relayé:
"Les mesures d’hygiène, ça va trop loin"...

