top of page

Les drôles de vacances (9)

DianeDeriaz.jpg

Diane Deriaz photographiée par Man Ray en 1960

Et si on se racontait de belles histoires, extraordinaires et vraies ? Voici celle de Diane Deriaz (1926-2013).

 

C'est en cherchant des renseignements sur son oncle Maurice, athlète et lutteur de renommée internationale originaire de Baulmes dans le canton de Vaud, qu'un peu par hasard je suis arrivé à elle. Diane qui se prénomma aussi Janine, Nano, Jano, Claude, Linda, Katia, Ariel, Ninja, Marika, Ulrike, Soledad, Songo, Sol y Sombra ou Nagaïka selon les périodes et les interlocuteurs. Diane qui exerça entre autres les métiers de masseuse, secrétaire médicale, commis de cuisine, secrétaire d'un philosophe japonais, vendeuse d'encyclopédies, traductrice, actrice, hôtesse d'Air France...

Mais surtout: trapéziste et "muse" des surréalistes.

 

Plus qu'une inspiratrice, Diane Deriaz fut aussi auteur, écrivit des poèmes, croisa le destin de Picasso, Eluard, Audiberti, Jean Cocteau, Man Ray, Giacometti, Jean Genet, Lawrence Durrell et bien d'autres. Dotée d'une volonté de fer, elle vécut un destin hors du commun, raconté dans son autobiographie parue en 1988, "La Tête à l'envers" (Albin Michel). Le livre est épuisé, mais on en déniche encore des exemplaires d'occasion sur internet. Passionné par sa trajectoire, j'ai lu récemment ses mémoires et en restitue ici une version condensée avec des extraits enregistrés du livre.

Commençons par sa naissance, qui fut tout sauf banale !

MauriceDeriaz.jpg

Peu stimulée dans sa banlieue parisienne par des parents qui n'ont guère le temps de s'occuper d'elle, fugueuse à répétition dès l'âge de cinq ans, Diane s'affiche vite comme "spéciale", une rebelle. "Mes plus grands orgasmes furent des départs", écrit-elle. Elle a de qui tenir, la dynastie des Deriaz compte quelques spécimens hors normes dont elle brosse les portraits hauts en couleurs. En particulier son grand-père et ses oncles - parmi eux Maurice (photo ci-dessus), dont le portrait est toujours visible à l'Hôtel de ville de Baulmes.

A sept ans, elle écrit ses premiers poèmes. Le cirque lui "tombe dessus" quand elle voit sur le toit d'une école, lors d'une kermesse, un homme effectuer un triple saut périlleux entre deux trapèzes. Il se nomme Edmond Rainat, connaît les Deriaz. Ce petit homme trapu qui possède "une immense intelligence du corps, avec des loupes dans les yeux et dans la tête", devient son mentor, exigeant parce que convaincu du potentiel de la jeune fille. Il monte avec elle un numéro qui connaît un certain succès. Diane y gagne une petite célébrité régionale, un journal la surnomme "la Shirley Temple du trapèze".

"Ce que je pensais des autres et de leur petit monde étouffant ne changeait pas", écrit-elle. Elle traverse "un long désert" quand, à l'école, elle éprouve un double coup de foudre pour Myriam Larronde et son frère Olivier. Bourgeois et cultivés, "les Larronde allient devenir ma deuxième faille, et Olivier Larronde le grand amour de ma vie". Mais Myriam meurt peu après dans des circonstances non éclaircies (suicide, maladie?). Son frère, devenu poète, mourra lui aussi assez jeune, à 37 ans, après une vie tourmentée par la drogue et l'alcool.

A l'école, ça se passe mal. Diane, qui a appris de Myriam à ériger le mensonge en art, falsifie les signatures pour excuser ses absences nombreuses. La directrice convoque son père et lui lâche: "J'ai eu pour élève Violette Nozière (une jeune fille qui avait tué ses parents). Diane a son physique et son caractère. Méfiez-vous d'elle!" Elle est renvoyée de l'établissement.

Années de guerre, de faim. Le père de Diane, qui commence à verser dans le mysticisme, l'envoie dans une autre école "où j'eus tout de suite deux ennemis: les chiffres et la comptabilité". Le soir, elle travaille chez son oncle Maurice, qui fabrique des anches pour les instruments à vent. Dans le train, où il lui arrive de provoquer les soldats allemands, elle rencontre l'acteur Saturnin Fabre qui lui donne ce conseil: "Ne dis jamais la vérité dans la vie!" Il emmène l'adolescente, qu'il fait passer pour sa fille, dîner chez Maxim's puis dans un hôtel de passe rue Godot-de-Mauroy. En tout bien tout honneur, juste pour lui montrer les coulisses de la vie. "Tu sais ce que j'aime? lui dit-il une fois dans la chambre où il a fait servir le champagne. C'est d'être dans un lit, de lire les journaux et de les jeter." Puis il la ramène prendre son train.

Une autre rencontre dans le train offre à Diane un travail de sténo-dactylo avec connaissances d'anglais au journal "Défense de la France", où elle rencontre un certain Pierre Lazareff qui changera le titre en "France-Soir". Elle y reste sept mois. Puis elle "traque le gîte et le couvert" dans le quartier de Saint-Germain. C'est là qu'elle rencontre Rachilde, "une des grandes figures du féminisme et de la littérature de la première moitié du vingtième siècle", auteure de "Monsieur Vénus". Personnage hors du temps et de toute convention, Rachilde fascine.

unnamed.jpg

Rachilde

Grâce à son ami Olivier, à Rachilde, Diane Deriaz a élargi son horizon littéraire et artistique, trouvé des aventuriers qu'aucun carcan social n'effraie. Elle effectue les pas suivants aux côtés de l'écrivain Jacques Audiberti, . "Mon sang frais lui plut. Nous avions quelque chose en commun, un rire énorme, mal élevé, inextinguible, une espèce de rire actuellement en voie de disparition." Audiberti est impressionné par la musculature de Diane, surtout après qu'un jeune voyou ait tenté de l'agresser dans le quartier de Barbès. "Je pris le voyou par le bras et l'envoyai en l'air comme un projectile. Deux ou trois fois dans ma vie, parce que je ne mesurais pas ma force, j'ai manqué tuer un homme qui manifestait de mauvaises intentions à mon égard ou à l'égard de quelqu'un que j'accompagnais. Aucun n'est mort, Dieu merci. Celui que j'expédiai en présence d'Audiberti ne se releva pas, mais nous vîmes qu'il était en vie."

Audiberti écrit "Pucelle" en s'inspirant très fortement du personnage de Diane (à qui le texte est dédié). La jeune athlète-poète se démarque déjà au milieu des zazous épris de liberté qui secouent Saint-Germain et le quartier latin. Boris Vian jouant à côté d'elle de la trompinette. Antonin Artaud halluciné "dévissant" au Vieux-Colombier. Dans son coin, Audiberti soupire: "Rien n'est plus difficile que de ne pas t'aimer. Il y a un étrange rayon qui passe par toi. Tu es pleine d'amour et tu es encore glacée.  (...) Tu as soixante mille ans et des météores te traversent".

Belle, séduisante, Diane garde ses distances avec ses admirateurs. "On salivait devant ma drôlerie ou devant ma beauté. Mais on ne m'aimait pas. J'étais idolâtrée, pas aimée. Je n'avais pas d'autre réponse à donner que mon indépendance finalement assez triste."

Au lendemain de la soirée avec Artaud, Diane découvre un monstre dans son miroir: un psoriasis la défigure. Recherchée hier, sa compagnie devient gênante. "Face à un tel cas, la puissance de transformation des êtres humains en courants d'air est remarquable", constate-t-elle. A cette maladie nouvelle s'en ajoute une ancienne: une "pleurésie humide", selon le diagnostic des médecins, qui a diminué sa capacité pulmonaire. "Si elle veut se suicider, elle n'a qu'à faire du sport", ont-ils dit à ses parents.

Comme stimulée par ce double obstacle, Diane Deriaz reprend contact avec Edmond Rainat, recommence l'entraînement au trapèze. "Cet homme était si possédé par le cirque qu'il demandait l'impossible, pour le plaisir de se dépasser, sans pitié aucune. Elle souffre, saigne des mains, des chevilles, se muscle à coups de tractions pendant deux mois. 

cir_2014b.jpg

Edmond Rainat

Après huit mois de martyre, elle est prête. Le cirque Pinder commande à Rainat - alors âgé de 72 ans ! -  une "féérie" à exécuter sous un chapieau gigantesque abritant trois pistes. Diane est engagée dans l'équipe qui voltige à huit mètres de hauteur, sans filet. Il lui arrivera de faire un numéro à seize mètres. "La perception en est complètement changée. Chaque mètre supplémentaire fait l'effet d'être un kilomètre. On a la sensation d'être sur la lune." Etre sur un trapèze c'est aussi "une sensation d'oiseau, d'une griserie extraordinaire, comme si l'on était sur la hune d'un voilier."

La peur? Bien sûr. "Celui qui n'a peur de rien fera peut-être un bon trapéziste, dit Rainat, mais il ne le fera pas longtemps. Diane a parfois le vertige, elle le combat. "Il y a des jours où il faut se jeter dans le vide alors qu'on n'est pas bien du tout. A ce moment-là, on a peur." Au cirque Pinder, on travaille tous les jours, de l'aube au soir. On lui demande d'apprendre à jouer du tambour pour égayer son entrée en scène. Un jour où elle doit se rendre à son cours, elle fait la connaissance du poète surréaliste Paul Eluard.

df5c95012bd292a911b5a1f460c93b28.jpg

Paul Eluard

Eluard, quia perdu sa compagne Nusch, se prend de passion pour la jeune trapéziste, lui envoie des lettres enflammées, envisage même de se faire engager au cirque Pinder pour rester plus près d'elle. "En réalité, son désir était utopique, écrit-elle. Au cirque, il faut courber l'échine et Paul, à cinquante ans, gloire du Parti et gloire nationale, en était bien incapable." Cette impossibilité mortifie le poète qui, pour se venger, invente la scène suivante:

Le directeur du cirque Pinder, dans son bureau décroche fébrilement tous les téléphones qui sonnent en même temps. Sur l'une des lignes, une voix dit:

- Je voudrais parler au directeur du cirque Pinder.

- C'est moi.

- J'ai un numéro extraordinaire.

- Qu'est-ce que c'est?

- J'arrive. Je salue à gauche, je salue à droite, puis je dis un très beau poème de Paul Eluard.

- Comment? Comment avez-vous dit? Qui c'est, ce Paul Eluard?

- C'est un grand poète.

- Monsieur, ici c'est un cirque, une maison sérieuse. Vous me faites perdre mon temps.

- Vous ne voulez pas de mon numéro?

- Non, foutez-moi le camp!

- C'est dommage, parce que je suis un cheval.

Numériser.jpeg

Diane Deriaz au cirque Pinder

Diane entame sa vie épuisante et excitante de nomade, place le public avant son numéro, défile en Mexicaine avec des sabots... Audiberti décrit son numéro: "Elle longe, elle nage à dix mètres de haut, dans les planètes électriques. D'autres filles d'acrobatie, autour d'elle, peuplent les airs. Tout un vivier mammifère s'essore. (...) Elle file dans l'air, dans la toile, dans la nuit, pour devenir quelque part Diane 24, et pourtant elle est là, de nouveau, debout, souriante statue de femme sur un socle haut juché".

Eluard, qui l'appelle Janine, se pâme: "J'attends impatiemment, ma solaire, que tu montes un peu sur l'horizomn parisien, pour aller te voir, pour aller réchauffer mon coeur et mon corps à mon esprit à ton foyer, à ton rire, à tes seins. Ma brûlante et mon humide, sans tes baisers, je me sens triste et paralysé, épinglé comme un papillon." "Je t'aime, mon bonheur inaccessible." "Tu es ma beauté, je voudrais que tu deviennes ma gloire." "Sans toi, je ne colle plus au temps."

Ce qui ne l'empêche pas de se comporter en goujat. Il partage ses nuits avec une autre femme, Jacqueline, à qui il fait choisir le cadeau qu'il offre à Diane ! Un collier d'opales blanches. "L'opale porte traditionnellement malheur, observe sarcastiquement Diane Deriaz. J'eus envie de le tuer." Il lui propose un appartement à Paris... avec un frigidaire. "Mon surréaliste me vantait les avantages du frigidaire..." Ses opinions politiques très alignées sur l'orthodoxie du Parti ne sont pas celles de la trapéziste libertaire. De plus, les communistes parisiens ont le snobisme méprisant. Lors d'un déjeûner, la traductrice de Neruda lâche: "Ne faites pas attention. Diane, elle a l'anticommunisme des filles de Pigalle." La "fille de Pigalle" prend ses distances avec Eluard et sa clique. 

"Ces dernières années m'avaient changé. L'attitude de mes amis pendant mon psoriasis, le comportement chaud et froid de Paul Eluard avaient contribué à faire de moi, sous une apparence plus athlétique, un jouet cassé. La vie n'avait plus le même "la". Je ne croyais plus à l'amitié. Proust raconte qu'il découvrit très tard que l'amitié n'existait pas. J'ai fait ce constat très jeune."

12899588373_696801a877_b.jpg

Le Bal Tabarin par Severini

Après une deuxième tournée Pinder en 1948, Diane Deriaz a envie de se renouveler, pense à un numéro mêlant musique et trapèze, rêve d'être clown, fait un peu de cinéma. Puis elle est engagée dans un des endroits les plus prestigieux de Paris, le Bal Tabarin.

Entre spectacles au Bal Tabarin, leçons d'escrime, de judo et de concertina, quelques cours à la Sorbonne, Diane organise sa vie au début des années 50. Un de ses plaisirs est d'assister en catimini à des séances de tribunal. On lui propose de lancer des combats de catch féminin, l'héritière des Deriaz accepte et invente le "jarretelle-catch", inauguré au cabaret Paradise, rue Fontaine. Elle se promène au parc Bagatelle avec son ami Olivier Larronde - dont Cocteau dit: "c'est un noyé" - fume parfois de l'opium avec lui bien que "férocement, farouchement contre la drogue".

Eluard meurt en 1952, le Bal Tabarin ferme l'année suivante pour faire place à un supermarché. Changement d'époque. Par Eluard, Diane a fait la connaissance du poète et peintre britannique Roland Penrose, qui l'invite dans la somptueuse propriété où il vit avec la photographe Lee Miller, devenue alcoolique. L'entrée en matière est rocambolesque. Lee Miller veut mettre Diane dans les bras de son mari et organise à son insu une soirée en tête-à-tête. "Oubliant tout le bienfait de son éducation à Cambridge, Penrose se transforma en fauve. Il me plaqua sur son lit. Sa réputation de sadique était déjà établie et il comptait l'illustrer une nouvelle fois avec moi. Il m'asséna une série de coups de cravache. Mais moi aussi, j'étais une athlète et, s'il faut choisir l'un des deux éléments du couple Sado et Maso, je préfère Sado; cela fait moins mal. J'arrachai la cravache de la main de Roland et le frappai à mon tour. Je le laissai meurtri et aussi un peu admiratif."

Tous les peintres que rencontre Diane n'ont pas un tempérament aussi débridé, mais aucun n'est banal. Elle aime ces "athlètes du regard" qui "se servent de leur corps pour écrire des figures. Ils sont un peu trapézistes à leur manière". Elle fait la connaissance de Bonnard et de Picasso, en 1950.

ma_i034831_tepapa_jean-cocteau-and-picas

Jean Cocteau et Pablo Picasso

"Man Ray, je l'ai connu à Saint-Tropez, chez Dominique Eluard", raconte Diane Deriaz. Il est normal qu'un site de photographie accorde un moment particulier à cet artiste... quoique, en écoutant l'extrait ci-dessous, certains seront peut-être surpris du regard que porte Man Ray sur son travail de photographe.

DianeDeriaz2.jpg

Diane Deriaz avec sa mère, Polaroïd de Man Ray, 1963

"Plus qu'un chercheur, c'était un trouveur, qui n'arrêta jamais, écrit Diane de Man Ray. Marcel Duchamp a moins créé que Man Ray. Ce ne sont pas des frères jumeaux, ces deux-là, mais des gens d'un même club, d'un même esprit. Duchamp donna un très bon jus, puis décida de ne plus rien extraire de lui. Il ferma ses propres mines, alors que Man ne cessa d'exploiter les siennes, sérieusement et joyeusement."

Peu après avoir connu Man Ray, Diane Deriaz devient... hôtesse de l'air pour Air France. Choix étonnant que lui a inspiré une visite chez l'horloger à cause d'un réveil détraqué. "On m'avait assuré que mon passé au cirque était un obstacle insurmontable", écrit-elle. Encore une fois, défier le destin. Elle passe sans problème l'examen d'entrée très strict, obtient le matricule 15228. Là encore, elle va rencontrer des personnalités prestigieuses. Winston Churchill sur un vol Rome-Nice-Londres. "J'étais prise entre les indications contradictoires de son médecin, qui l'accompagnait, et de Sir Winston, qui refusa de manger et réclamait un troisième whisky." Le garde du corps s'éclipsant aux toilettes, Churchill s'empara de son verre de champagne et le vida d'un trait. "Derrière un cigare toujours éteint, le visage, carmin, exprima une satisfaction momentanée."

Une autre rencontre mémorable, qui faillit abréger l'existence de Diane Deriaz, fut celle avec Albert Schweitzer.

Schw_Unterr_Ki12_2_ausgabe.jpg

Albert Schweitzer à Lambaréné

Paradoxalement, le métier d'hôtesse de l'air est un de ceux que Diane Deriaz a exercés le plus longtemps, de 1954 à 1967, avec bien sûr de nombreuses escales auprès de ses amis poètes, peintres et surréalistes.

Il faut mentionner ici Lawrence Durrell, rencontré dans un vol Londres-Paris. Un passager excité par l'alcool soulève sa robe, Diane manque le frapper, mais quoi qu'il arrive, "une hôtesse a toujours tort". Durrell, qui voit ses larmes après cet incident, l'invite à dîner. Epuisée, elle refuse d'abord; il insiste. "Votre vie est fantastique, vous devriez écrire vos souvenirs", lui dit-il. C'est à cette rencontre qu'on doit les mémoires de Diane Deriaz... et le présent billet.

"Personnage multiple", Lawrence Durrell réalise en 1968 pour la BBC un film sur Paris où Diane tient une large part, puis un autre, "The Lonely Roads" l'année suivante à Sommières où il réside. 

220px-Λώρενς_Ντάρρελ.jpg

Lawrence Durrell à Sommières

Le Japon tient une place spéciale dans la vie et le coeur de Diane Deriaz. "Mon physique n'en laisse rien paraître, mais je suis plus orientale qu'occidentale", écrit-elle. La lecture des ouvrages de Lafcadio Hearn a attisé son envie de découvrir ce pays, ce que lui permet son activité d'hôtesse de l'air. Elle y atterrit une première fois en 1956, s'y rend ensuite fréquemment, "tantôt gaffeuse, tantôt habile". Sa soif d'apprendre lui donne toutes les audaces. Elle veut apprendre le karaté, se glisse dans les coulisses des combats de sumo, répète un petit rôle de théâtre nô, "Yuya", dans sa chambre d'hôtel, rencontre le grand professeur de littérature anglaise Yanaïhara Isaku.

IsakuYanahira.jpg

Yanaïhara Isaku par Giacometti

A Paris, Diane devient l'assistante du professeur Mori Arimasa. "Je sais que je ne vivrai pas longtemps, lui dit-il un jour. Je vous aime beaucoup. Je vous respecte beaucoup. Pourriez-vous épouser un Japonais comme moi? Vous auriez un joli appartement près de Notre-Dame et des droits d'auteur importants.

- Mais je ne peux pas vivre avec un homme

- J'accepterais un mariage blanc.

- Je ne peux pas, professeur, je ne peux pas..."

S'il faut dénicher dans la fin de la vie de Diane Deriaz quelque chose que l'on peut appeler amour - à part celui qu'elle a éprouvé pour Olivier Larronde - c'est curieusement avec Roland Penrose que cela s'est produit - oui, le sadique qui lui a sauté dessus lors de son premier séjour à Londres.

Diane devient "the frog", la grenouille de Penrose, qui la respecte d'autant plus qu'elle est la seule à ne pas céder à ses caprices d'aristocrate. Mais elle ne s'intègre pas vraiment à la société anglaise, se sent doublement isolée sur une île. Penrose, atteint dans sa santé, devient insupportable. Elle l'emmène à Trouville, lui suggère de se mettre aux collages. Penrose laissera dans son "Scrap-Book" une description élogieuse de cette compagne pas comme les autres:

"Son aptitude à prendre des décisions soudaines, comme on allume ou éteint une lampe, son humour clownesque acquis au cirque, font partie du rare ensemble de ses vertus caractéristiques que n'entament pas les exigences corruptrices de la vie de tous les jours. Son charme captivant et son coeur généreux vont de pair avec son refus obstiné de sacrifier la moindre parcelle de sa jalouse indépendance."

Diane devient "the frog", la grenouille de Penrose, qui la respecte d'autant plus qu'elle est la seule à ne pas céder à ses caprices d'aristocrate. Mais elle ne s'intègre pas vraiment à la société anglaise, se sent doublement isolée sur une île. Penrose, atteint dans sa santé, devient insupportable. Elle l'emmène à Trouville, lui suggère de se mettre aux collages. Penrose laissera dans son "Scrap-Book" une description élogieuse de cette compagne pas comme les autres:

"Son aptitude à prendre des décisions soudaines, comme on allume ou éteint une lampe, son humour clownesque acquis au cirque, font partie du rare ensemble de ses vertus caractéristiques que n'entament pas les exigences corruptrices de la vie de tous les jours. Son charme captivant et son coeur généreux vont de pair avec son refus obstiné de sacrifier la moindre parcelle de sa jalouse indépendance."

roland-penrose-winged-domino.jpg

"Winged Domino", par Roland Penrose

Après la mort de Penrose en 1984, Diane Deriaz s'installe à Saint-Leu-la-Forêt, dans la banlieue nord de Paris. Elle fait un peu de théâtre et de cinéma, avec un succès moyen. "Je pense qu'on n'aime jamais assez qui on aime et qu'on ne déteste jamais assez qui on déteste", écrit-elle dans sa conclusion. Elle y dresse aussi une longue liste de tout ce qu'elle aimerait encore expérimenter - du chant sacré avec Iégor Reznikoff aux idéogrammes chinois en passant par les cours de billard - avant que "le dernier car de ramassage m'emporte". "Je n'ai pas peur de la mort, ajoute-t-elle, mais j'ai encore tant à apprendre!"

Elle est morte à l'âge de 86 ans à Saint-Leu, où une salle municipale porte son nom.

DianeDeriaz3.jpg

Diane Deriaz hôtesse de l'air lors d'une escale à Miami

Pourquoi raconter son histoire sur le un blog photographique, dans le cadre d'une alerte au virus généralisée? Parce qu'elle est fascinante d'abord. Parce que Diane Deriaz, trapéziste dans tout ce qu'elle entreprenait, a pénétré avec fougue au coeur d'un des mouvements littéraires et picturaux les plus créatifs que l'Europe ait connus au cours du dernier siècle, et que cela nourrit notre regard, nous encourage à témoigner de la même curiosité. 

Parce qu'enfin, virus ou pas, on est parfois confondu en approchant du terme de son existence, de la douce médiocrité dont on a fait preuve. On aimerait avoir eu la même audace d'oiseau, son tempérament intransigeant. Je sais: on ne se refait pas, contentons-nous..., Sénèque et compagnie.

Sur quoi, prise de risque insensée et acte rebelle suprême, je vais aller faire des courses à la Coop. A 69 ans, en plein confinement !

bottom of page