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Hantises
(Château de Nyon)




Enfant, peu de choses me terrorisaient autant que de descendre dans la cave de ma grand-mère maternelle dans une lugubre maison baptisée "Les Tourelles", à Renens (elle existe toujours, à moitié masquée par une école). Ses murs suintant la tristesse et l'abandon auraient fait un décor idéal pour un film de Hitchcock. Je ne sais plus ce qu'on m'envoyait chercher et ignorais jusqu'au nom de Dante, mais pousser la porte de la cave, descendre les raides escaliers éclairés d'une chiche ampoule nue, marcher le long des claies de bois jusqu'au bout du couloir, dans une odeur de pommes de terre moisies: tout cela donnait une assez bonne idée des cercles de l'Enfer. Des mains crochues allaient surgir entre les lattes mal dégrossies, c'est sûr, me saisir pour m'enfourner dans quelque gueule puante tandis que là-haut, personne ne s'inquièterait de mon absence...
Donc, le confinement, ah oui ! Le confinement. En ce dimanche de pluie, je suis allé voir l'exposition "Horizons" mise sur pied par la galerie Focale à Nyon. Les images d'une douzaine de photographes se veulent le "témoignage d’une crise qui ne se voit pas au premier abord, mais qui se ressent". Sauf qu'à faire le tour - deux fois - de ce patchwork, je n'ai pas eu le sentiment qu'il me parlait particulièrement de cette année hors norme - à part les portraits de gens masqués présentés de manière originale - dans des cadres-boîtes en verre remplis d'emballages dorés de têtes choco roulés en boule, ou de peaux de bananes séchées...
Cette pandémie a ses clichés, que brasse le New York Times par exemple à longueur de galeries bien faites, mais ennuyeuses comme une ville sans théâtres ni bistrots. Quant à photographier le temps suspendu, ce n'est pas propre à la situation que nous vivons en ce moment.
Bref, tout cela ne me parlait pas beaucoup. Mais, comme c'est souvent le cas, le clin d'oeil est de venu de là où je ne l'attendais pas. Le Château de Nyon expose les porcelaines qui ont fait la réputation de la ville à la fin du XVIIe siècle, de grands tirages modernes d'un studio photo du XIXe siècle. On y voit aussi les anciennes prisons et un grenier que les conservateurs ont eu la bonne idée de mettre en scène comme un bric-à-brac... de nos grands-parents, justement.
Il résulte de ce mélange d'objets précieux ou pas, de bourgeoisie guindée et de graffitis grattés par les gueux, de velours et de draps rêches, de dames poudrées et de pieds-qui-puent, une atmosphère ambiguë où les petites filles sont méchantes, les pendules se mettent à tourner à l'envers et les raides ancêtres à vous sucer le sang. Enfin, telle était mon vertige tandis qu'un crépuscule de plomb engloutissait les sapins de Noël artificiels de la place du Château.
Dimanche 20 décembre 2020. Photographies au Fuji X100V.
Pour se mettre dans l'ambiance, ci-dessous, "Moon in June", des Soft Machine (à écouter depuis la minute 14).
© Jean-Claude Péclet, 2020. Reproduction soumise à autorisation