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Birmanie

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Il s'est écoulé vingt-six ans entre le moment où j'ai pris ces photographies, en 1996, et celui où je me suis décidé à leur donner une seconde vie numérique (je reviendrai plus loin sur le procédé appliqué pour cette série).

Un mot sur le voyage d'abord. Il marquait pour moi une sorte de sas entre deux emplois, de "L'Hebdo" au "Nouveau Quotidien". À quelle découverte consacrer ce mois de vadrouille solitaire? Le choix de la Birmanie soulevait une question éthique: si la dictature militaire desserrait quelque peu son étreinte sur la population, sa poigne n'en restait pas moins brutale et omniprésente. Je me suis rendu à une soirée d'information de l'Association Suisse-Birmanie, dont le président Claude Schauli m'a conseillé de partir. "Les Birmans apprécient le contact avec les étrangers, pour eux c'est une bouffée d'oxygène", m'a-t-il dit en substance. Il y avait deux conditions à respecter: rester prudent dans les échanges, pour ne pas mettre un interlocuteur en danger - les indics pullulent - et éviter les hôtels à touristes, contrôlés par l'armée ou ses proches. Je me suis tenu à l'une et à l'autre.

Ceci n'est pas un récit de voyage, juste un choix de quelques images. Une anecdote m'a néanmoins marqué et traduit le climat qui régnait dans le pays (c'est apparemment toujours le cas). Arrivant en train à Mandalay, j'ai été approché en anglais approximatif par un homme dans la quarantaine qui, je m'en suis rendu compte plus tard, m'avait discrètement observé pendant le trajet en train. Professeur dans un village situé à quelques dizaines de kilomètres de la ville, il complétait sa maigre paie en faisant le guide à Rangoon - que l'on appelait encore ainsi, même si le nom était officiellement devenu Yangon en 1989. Il avait visiblement envie de parler, j'ai sauté sur l'occasion en lui proposant de le rejoindre dans son village par un bus local.

Ainsi fut fait, j'ai été accueilli dans un bourg agricole où l'eau se prend au puits. Il y avait bien quelques poteaux électriques, mais pas encore de câbles. Je logeais dans une maison sur pilotis de bambou tressé, à même le sol. Au début, nos discussions sont restées générales, surtout pas politiques. Au bout de deux ou trois jours, il m'a proposé une balade au bord d'un canal. J'ai observé qu'il faisait de soudains écarts à mes côtés et lui en ai demandé la raison. "La coutume ici veut qu'on ne marche pas sur l'ombre d'une personne respectable", a-t-il répondu. Délicatesse birmane. Plus loin, il a osé, en détachant précautionneusement les mots, la question qu'il avait probablement sur la langue depuis le début: "What do you think of... democracy?"

Trève de souvenirs, voici donc quelques mots sur la façon dont j'ai "récupéré" des négatifs que j'avais sous-developpés à l'époque et dont la gamme grisâtre m'avait donné du fil à retordre au labo. Habituellement, je les numérise avec un scanner Epson Perfection V850. Malheureusement, le résultat pour les 24x36mm. ne correspond pas à la promesse pompeuse du nom de l'appareil. C'est d'ailleurs un frein général au retour en grâce de la photographie argentique: peu d'amateurs possèdent leur propre laboratoire pour emprunter la voie royale qui reste celle du tirage, celle-ci exigeant par ailleurs de l'expérience et... de l'argent, au sens d'espèces sonnantes et trébuchantes. Confier ses films à un laboratoire spécialisé reste une loterie. D'où cette impression frustrante que l'argentique est le domaine de l'à-peu près, du flou ou du contraste mal maîtrisé. Ce qui est non seulement faux historiquement mais une insulte au degré de qualité atteint par les appareils et les pellicules à la fin du siècle passé.

Bref, le défi reste de restituer au mieux la qualité originelle des négatifs. Je ne me souviens plus de l'appareil emmené en Birmanie (un Olympus, probablement, pour sa légèreté), mais je sais que les films étaient des lford HP5, un peu sous-développés je l'ai dit. Pour la première fois, j'ai essayé une technique différente de numérisation, consistant à re-photographier les négatifs avec un Nikon D5500 (format DX) équipé d'un micro-Nikkor 40mm. acheté d'occasion, sur lequel j'ai monté un adaptateur Nikon ES-2 (165 francs). J'ai choisi un fond de ciel ensoleillé comme source lumineuse, il me semble après quelques essais que c'est ainsi que l'on fait mieux ressortir le grain du film. Au total, cette solution ne coûte pas plus cher qu'un bon scanner à plat, et elle est plus rapide. Pour la qualité du résultat, je vous laisse juges.

Cette façon de faire implique que l'on inverse l'image négative en positif à l'aide des curseurs sur la "boîte" des courbes de niveaux Lightroom. Ensuite, les curseurs de réglage blancs/moirs/gris fonctionnent inversément à la normale. C'est un peu fastidieux, mais on s'y fait. Évidemment, le Nikon D850 fait ce travail d'inversion négatif-positif tout seul et offre 45 MP en plein format. La finesse de l'image y gagne sans doute, mais il faut investir davantage...

Sorry pour ces détails techniques qui lasseront peut-être le non-spécialiste, mais ce site est aussi une manière de partager des expériences.

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Poème de la nuit

Et pourtant la fatigue est bien là.

Couché dans mon boîton aux murs épais comme

du papier à cigarettes, je ne dors pas.

La vie d'un guest-house s'étire bien au-delà

de onze heures du soir. Dans un demi-sommel

j'enregistre

Le train essoufflé au passage à niveau

le jappement furieux du chien

le râclement lourd des sandales sur le béton

les crachats à répétition de mon voisin

les ronflements intermittents de l'autre

le claquement d'un interrupteur comme

fiché dans mon crâne

l'horloge électronique marquant minuit

d'horripilantes chansonnettes - qu'on retient

le hurlement terminal d'un moteur de camion

les sonnettes de vélo

l'employée de maison - terrible gaillarde - qui bêle

je ne sais quoi, d'un cri aigrelet

Râles, reniflements, pépiements, tintements

Le monde de la nuit est bien vivant.

Et le matin à six heures

S'enclenche le générateur.

(extrait du journal de voyage, 1996)

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Derrière certaines photographies sélectionnées plus haut se cache bien sûr une histoire. J'ai renoncé à de sèches légendes qui n'en donneraient qu'un pâle reflet. En revanche, cette dernière image appelle un mot d'explication. Dans la ville de Shwebo, au nord de Mandalay, le spectacle d'un homme affairé sur une planchette en bois éclairée d'en-dessous par un néon m'a fait entrer dans sa boutique. C'était un photographe - "la troisième génération", a-t-il précisé - en train de retoucher des négatifs. Il m'a tout de suite reconnu: *Je vous ai vu hier écrire longuement sur un carnet devant le tea-shop. Vous êtes écrivain!" J'ai eu beau lui expliquer que non, il m'a proposé de faire, gratuitement, le portrait de l'Écrivain honorant sa ville. Ainsi flatté, je me suis laissé faire. Il a réglé un tabouret et ses spots, ajusté son Ricoh. Vous avez le résultat sous les yeux.

Birmanie, 1996.

© Jean-Claude Péclet 2022. Reproduction soumise à autorisation.

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