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L'Alcazar et le Grand hôtel des Alpes

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Les deux personnes en dialogue, photographiées lors des Journées du Patrimoine 2024 sont, à gauche, l'architecte Claire Mollet, qui dirige les travaux de restauration de l'Alcazar, et à droite, en costume d'époque, Evelyne Lüthi-Graf, ancienne archiviste de la commune de Montreux, spécialiste en histoire de l'hôtellerie.

C'est peu dire que le lieu qu'elle faisaient visiter en constitue un sacré morceau. Au temps de sa splendeur, il y a un peu plus d'un siècle, l'hôtel des Alpes - Grand hôtel de Territet s'étendait sur une longueur de 250 mètres. L'image ci-dessous donne une idée de sa masse et de ses aménagements extérieurs, aujourd'hui disparus. Une terrasse arborisée recouvrait les voies de chemin de fer, le train amenant les clients pour ainsi dire à l'intérieur de l'hôtel. Un ascenseur les descendait au jardin inférieur, qui donnait directement sur le lac. C'est dans cet hôtel que fonctionna le premier téléphone de Suisse. L'ensemble est classé en "note 1" par les monuments historiques, soit la note la plus élevée, comme le château de Chillon voisin.

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Comme nombre de paquebots touristiques construits à la fin du XIXè siècle, le Grand hôtel des Alpes a connu une histoire mouvementée marquée en particulier par le coup d'arrêt brutal dû à la guerre de 1914-18. Dès les années 1970-80, les bâtiments principaux ont été réaménagés en musée puis résidences de luxe, tandis que le hall principal et la salle à manger sauvés par le décorateur Dad Régné devenaient un théâtre, l'Alcazar, et une salle d'exposition de calèches.

Ces rescapés du passé ont eux-même connu bien des vicissitudes, dont trois incendies (1084, 2012 et 2018) dans la salle des fêtes et l'ancien gymnase de l'hôtel. Les dégâts sont encore visibles, comme le montrent les images suivantes.

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Il était donc plus que temps que l'État de Vaud, dont le zèle patrimonial a été plus que modeste ces trente dernières années, prenne ses responsabilités, ce qu'il a fait en même temps qu'un investisseur privé, Feriz Imeri, montait une opération immobilière combinant brasserie, salle des fêtes, lofts et galerie marchande.

L'Alcazar est donc en plein chantier, pour trois ans. Grâce à d'anciennes photographies, dont celle ci-dessous fournie par la mine de renseignements sur Montreux qu'est Roger Bornand et son site web, on a constaté que l'Alcazar offrait au rez une spectaculaire galerie intérieure, redevenue visible après la destruction d'une dalle de béton qui en détruisait la perspective.

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Le public des Journées du patrimoine a surtout rêvé en parcourant les deux salles du premier étage - l'une dans un style rococo bien chargé de stucs et moulures, l'autre plus sobre et lumineuse dans un style inspiré de la Sécession viennoise, offrant une vue exceptionnelle sur le Léman.

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Ci-dessus: vue du toit-terrasse depuis ce qui fut le "fumoir turc", très prisé à la Belle Époque, par ailleurs accessible aux hommes seulement...; un détail des colonnes en marbre et des frises du plafond de la véranda art nouveau; la tapisserie du salon d'hiver, décorée au pochoir; détail du sol en catelles; une enseigne de 1861 montrant des soldats sur fond de barque à voiles latines et Dents-du-Midi - le Grand hötel des Alpes s'appelait initialement "Chasseur des Alpes" et fut construit par la famille Chessex, célèbres promoteurs du tourisme montreusien; un lustre du jardin d'hiver, fer forgé et verre soufflé.

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La salle des fêtes, dont les décorations ont subi l'épreuve du feu, qui a fait notamment fondre les dorures à la feuille. Dans l'ensemble, elles ont néanmoins résisté au temps et aux incendies.

Plusieurs souvenirs personnels me lient à l'Alcazar. C'est dans cette salle des fêtes que fut organisée en 1990 la fête de départ de Jacques Pilet, dont je prenais la succession comme rédacteur en chef de "L'Hebdo" tandis que lui s'affairait à créer "Le Nouveau Quotidien", journal ami... et concurrent!

Bien avant cela, alors que j'étais jeune correspondant sur la Riviera vaudoise, une communauté vaguement hippie avait pris ses quartiers dans les bâtiments de l'Alcazar; un ami y avait trouvé de petites pastilles brunâtres dont l'effet était, promettait-on, décoiffant...

Le troisième souvenir me renvoie encore plus loin en arrière. À la fin des années 1950, mes parents avaient fait l'acquisition d'un meuble - dans le sens le plus imposant du terme - contenant une télévision noir-et-blanc, une radio, un tourne-disques et un enregistreur utilisant des bobines à fil métallique. Grâce à cet équipement, complété par un gros micro tout rond, mon père avait enregistré un trio de Renens, "Les Troubadours de la Venoge": des bons vivants, bons buveurs (l'un d'eux se vantait d'avoir ingurgité dans sa vie le contenu d'un wagon-citerne de bière), et surtout merveilleux chanteurs à trois voix qui s'accompagnaient à la mandoline. Que de tels gaillards aux allures rustaudes puissent enchaîner des chansons, populaires ou non, aussi délicates enchanta mon enfance. Bien des années plus tard, mon père offrit son meuble TV-radio-tourne-disques-enregistreur à l'Audiorama qui avait provisoirement pris ses quartiers dans l'ancien Grand hôtel des Alpes de Territet. La bobine des "Troubadours de la Venoge" fit partie du don-débarras. Il y a les plus grandes chances qu'elle n'existe plus aujourd'hui, mais je rêve parfois que, quelque part sur une étagère d'un musée de l'audiovisuel, les voies douces des buveurs de bière renannais restent accrochées à un fil de métal.

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Le Grand hôtel des Alpes est bien sûr célèbre pour avoir accueilli l'impératrice d'Autriche Elisabeth de Habsbourg, dite "Sissi". Elle vient pour la première fois à Montreux en 1893, âgée de 56 ans, tuberculeuse, rendue dépressive par une succession de tragédies familiales. Elle s'inscrit sous le nom de comtesse de Hohenembs, sort toujours vêtue de noir, mulatiplie les marches en montagne, qu'il vente ou pleuve. montagne et, infatigable marcheuse, elle arpente chemins et sentiers. Qu'il vente ou qu'il pleuve. Une dernière photographie d'elle la montre se promenant avec sa gouvernante le 5 septembre 1898. Cinq jours plus tard, un anarchiste l'assassine sur un quai de Genève. Son ancien appartement (privé) existe toujours, les nostalgiques de l'impératrice Sissi peuvent être vus régulièrement autour de la statue érigée en son souvenir à côté de l'Alcazar et de l'église anglicane.

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Evelyne Lüthi-Graf, photographiée ici à l'entrée de l'ancien "fumoir turc", est une archiviste particulièrement active qui aime chiner, fouiner, faire revivre le passé, comme en témoignent ce portrait d'elle publié par "24 Heures" ou l'interview qu'elle a donné à la RTS en avril 2024. Une consultante précieuse pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine hôtelier suisse.

Territet, 7 septembre 2024. Leica M11, apo-Summicron 35mm., Elmarit 24mm., apo-Summicron 50mm.

© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation.

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