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Vienne, début de siècle

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Robe de mariée, Weihburggasse

À Vienne il y a dix jeunes filles,
une épaule où sanglote la mort
et un bois de colombes empaillées,
Il y a un fragment de matin
au musée du givre.
Il y a un un salon à mille fenêtres.

(Federico Garcia Lorca, "Petite Valse viennoise")

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Vitres embuées, premier étage de l'Ecole d'équitation espagnole

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Faiblesses de l'imagination. Peut-on appréhender la ville de Freud autrement que par ce qu'elle fut ? L'exhalaison de l'empire défunt - il y a juste cent ans - plane sur la ville. "Qui peut définir aujourd'hui ce qu'est un Viennois ? Personne. Faite de traumatismes successifs, l'Histoire a écrasé leur identité", disait un autre psychiatre, Georg Fodor, à l'envoyé spécial du "Monde" en 2003. Atteint de "dépression joyeuse", le Viennois "répond toujours présent lorsqu'il s'agit de s'autoflageller".

Décembre 2018. Les roulettes de la valise hoquètent sur le trottoir. Non loin de l'aparthôtel de Singerstrasse -manifestement destiné aux hommes d'affaires et diplomates de passage - un bar gay propose un échange de bitcoins le mercredi de 17 à 19 heures. Les Viennois ? Rolex, Zara, galeries de luxe et les inévitables chalets aux effluves de glühwein: dans ce quartier se pressent plutôt les touristes et des "expats" onusiens venus se réchauffer au marché de Noël.

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Reflets sur la vitrine d'une galerie d'art

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"Là, en Cacanie, dans cet Etat depuis lors disparu et resté incompris qui fut sur tant de points, sans qu'on lui en rende justice, exemplaire, il y avait aussi du "dynamisme", mais point de trop. Chaque fois qu'on repensait à ce pays de l'étranger, venait flotter devant vos yeux le souvenir de ses routes larges, blanches, prospères, datant de l'époque de la marche à pied et des malle-postes, qui le sillonnaient en tous sens, fleuves d'ordre, clairs rubans de coutil militaire, bras administratifs, couleur de papier timbré, étreignant les provinces... Et quelles provinces ! Il y avait les glaciers et la mer, le Karst et les champs de blé bohêmes, les nuits au bord de l'Adriatique, grésillantes de l'activité des grillons, et des villages slovaques où la fumée sortait des cheminées comme d'un nez retroussé, où les maisons étaient tapies entre deux collines comme si la terre avait entrouvert ses lèvres afin d'y réchauffer son enfant. Naturellement, il y avait aussi des automobiles sur ces routes ; mais pas trop. Ici aussi, l'on préparait la conquête de l'air; mais point trop intensivement. De loin en loin, point trop souvent, l'on envoyait un bateau en Amérique du Sud ou dans l'Extrême-Orient. On n'avait nulle ambition économique, nul rêve d'hégémonie ; on était installé au centre de l'Europe, au croisement des vieux axes du monde ; les mots de colonie et d'outre-mer ne rendaient encore qu'un son lointain et comme trop neuf. On déployait quelque luxe ; mais en se gardant d'y mettre le raffinement des Français."

(Robert Musil, "L'Homme sans qualités")

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Marquise, gare principale

Vienne change pourtant, beaucoup. Les architectes s'y régalent de nouveautés. Une des plus récentes est la gare principale au sud du "Ring". Autour a poussé un quartier de tours et de places spacieuses. ÖBB, Erste Bank les occupent. La Canettistrasse, refaite à neuf, mène tout droit au quartier du Belvedere. 

Surtout, par rapport à de précédents (et brefs) séjours que j'y ai faits, la capitale autrichienne a perdu en bonne la teinte grisaille qui caractérisait ses bâtiments. La sévère typographie de ses commerces et banlieues se noie de plus en plus dans les couleurs et les néons. On pouvait y lire, avant, l'équilibre immuable entre socialisme et centre-droit qui se partageaient le pouvoir. Le FPÖ de Jörg Haider a donné un coup de pied dans cette tranquille fourmilière il y a vingt ans déjà. A l'époque, l'Europe avait tenté de mettre en quarantaine ce pays "tenté par les démons du passé". De fait, l'Autriche était en avance de quelques années sur la déferlante populiste.

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"La crise secouant leur pays passionne les Autrichiens. Dans les trains et les cafés, ils se précipitent sur les pages politiques des journaux; le tirage du quotidien (conservateur) Die Presse a augmenté de 26% depuis le début du mois! C'est dire que les manifestations quasi quotidiennes qui se poursuivront toute la semaine jusqu'au grand rassemblement de samedi prochain à Vienne, où sont attendus plus de 200 000 participants, ne sont que la partie émergée d'un iceberg dont on ne sait encore où il va. Ce week-end, l'opposition au gouvernement noir-bleu – la seconde couleur étant celle du Parti de la liberté de Jörg Haider – a défilé à Graz, Innsbruck, Linz, Salzbourg et surtout Vienne, où quelque 15 000 manifestants encadrés par 500 policiers ont défilé dans le calme samedi après-midi."

(J.-C. Péclet, reportage à Vienne, paru dans "Le Temps" du 14 février 2000)

Ce qui a changé en 2018 ? Comme partout, les journaux ont presque disparu des cafés viennois, cette institution.

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Café Sacher, premier étage le matin, avant la foule

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" Lorsque Andreas se retrouva dans la rue, il eut l'impression que le monde avait été repeint à neuf et rénové ; il ne s'y sentait pas chez lui ; et il eut ce sentiment d'étrangeté que l'on a en se retrouvant dans une chambre que l'on connaît bien et dont les murs ont été repeints d'une autre couleur. Le va-et-vient des gens, des véhicules et des chiens était devenu étrange, et il ne comprenait plus rien à ce qu'il voyait. les cyclistes avaient un comportement bizarre, on ne voyait qu'eux au milieu de la place animée, on aurait dit de petites fauvettes qui filaient à toute allure entre les gros autobus, les tramways, les camions et les fiacres aux capotes toutes noires. Une automobile d'un jaune agressif tanguait, pétaradait, fonçait à tombeau ouvert à travers la place. Sur les flancs de la voiture il y avait ce slogan, inscrit en lettres de feu: " Fumez Jota ! " C'était la voiture de la folie. "

(Joseph Roth, "La Rébellion")

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Karl Lueger Platz

A huit heures du matin, par moins deux degrés, la sans-abri ci-dessus dort sous la statue de Karl Lueger (1844-1910), un des maires les plus populaires de Vienne de son vivant (ci-dessous). Né dans un milieu modeste, "avocat des petites gens", Lueger a été élu maire en 1875 sous l'étiquette libérale et a présidé au formidable développement de la capitale, dont la population a doublé en quelques décennies. Il y a notamment créé un réseau de distribution d'eau et de gaz modernes. Beaucoup plus controversé fut le glissement ce ce catholique vers un antisémitisme croissant. La modernisation de la capitale se fit largement au détriment des quartiers juifs. Voici ce qu'écrit Stefan Zweig de cette période:

"A peine l'oeillet rouge avait-il fait son apparition en tant qu'insigne de parti qu'une autre fleur se montra subitement aux boutonnières: l'oeillet blanc, signe distinctif du parti chrétien-social. Nettement petit-bourgeois, il n'était en fait qu'une réaction  organique au mouvement prolétarien, et tout comme lui un produit de la victoire de la machine sur la main. Car en rassemblant dans les usines les masses nombreuses, ce qui conférait aux ouvriers la puissance et leur ouvrait la voie de l'ascension sociale, la machine menaçait en même temps le petit artisanat. les grands magasins, la production de masse tournaient à la ruine de la classe moyenne et des petits maîtres d'état à l'activité purement artisanal. Un chef habile et populaire, le Dr. Karl Lueger, s'empara de ce mécontentement et de ces inquiétudes, et avec sa devise : "Il faut aider les petites gens", il entraîna derrière lui toute la petite-bourgeoisie et la classe moy§enne aigrie, dont l'envie envers les privilégiés de la fortune était bien moindre que la crainte de tomber de sa condition bourgeoise dans le prolétariat."

Voilà qui résonne de façon très actuelle en ces temps de gilets jaunes.

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Österreichische Postsparkasse, plans d'Otto Wagner, porte d'entrée

"Je me suis permis de répliquer sur un ton peut-être un peu plus énergique que celui qui est habituellement le nôtre ; et, comme des bancs adverses on ne pouvait rien répondre de valable, on a essayé de me contraindre au silence par des cris et des injures. Ce que fut l'argument le plus fort d'une certaine catégorie de défenseurs de l'Etat contre mes déclarations, vous pouvez vous l'imaginer, monsieur le baron.

- Eh bien, demanda Georg ?

- Youpin, ferme ta gueule ! répondit Berthold, les lèvres serrées.

- Oh ! fit Georg gêné, et il secoua la tête.

- Du calme, youpin ! La ferme, youpin ! Youpin ! Couchez ! continua Berthold, semblant éprouver à ce souvenir une sorte de délectation.

Anna regardait ailleurs, Georg pensa intérieurement que cela suffisait. Un moment de silence pénible suivit.

- C'est donc pour cela ? demanda Anna lentement.

- Que voulez-vous dire ? s'enquit Berthold.

- C'est pour cela que vous démissionnez ?

- Un homme comme vous, docteur, est certainement au-dessus de ces grossièretés, dit M. Rosner.

- Je n'irai pas jusqu'à l'affirmer, répliqua Berthold, mais, de toutes façons, il faut s'attendre à des choses pareilles. La raison de ma démission est autre.

- Et peut-on vous demander... ? questionna Georg.

- Bien sûr que l'on peut. Après mon intervention, je me suis rendu à la buvette. Là, j'ai rencontré parmi d'autres un des plus bêtes et des plus insolents de nos représentants, celui qui, comme de coutume, s'était montré le plus bruyant pendant mon discours... Le négociant en papier Jalaudek. Je l'ignore, naturellement. Il venait de reposer son verre vide. Il me voit, sourit, me fait signe et me salue tout enjoué comme si rien ne s'était passé. "J'ai bien l'honneur, cher monsieur, désirez-vous un rafraîchissement ?"

- Incroyable ! s'exclama Georg.

- Incroyable ? Non, autrichien. Chez nous, l'indignation est aussi peu authentique que l'enthousiasme. Les seules choses authentiques chez nous, ce sont la joie maligne et la haine envers le talent."

(Arthur Schnitzler, "Vienne au Crépuscule")

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La grande roue du Prater. Ci-dessous, la séquence du "Troisième Homme" sur les Borgia et le coucou

Dans ses entretiens avec Henry Jaglom (1982-85), Orson Welles raconte le tournage du "Troisième Homme" en 1948 dans une Vienne qui n'était plus aussi dévastée qu'il l'aurait souhaité pour l'ambiance...

"J'ai pris l'Orient-Express à Venise ou Paris, je ne me rappelle plus, et je suis arrivé à Vienne le matin vers huit heures. J'avais ma garde-robe avec moi. On est allés directement à la grande roue et à neuf heures j'avais déjà une scène. Ensuite on a tourné pendant six jours, cinq à Vienne et un à Londres. Il y avait trois équipes complètes qui travaillaient en même temps parce que si Carol (Reed, le réalisateur, ndlr.) en avait besoin d'une pour tourner une scène très ouverte, dans laquelle on voyait quatre pâtés de maisons entiers dans la nuit, la deuxième opérait dans un autre quartier de Vienne et la troisième était en bas, dans les égouts. C'est pour ça qu'on a terminé si vite."

Selon Welles, "les véritables créateurs du film étaient Carol Reed et Korda. Graham Greene était loin derrière, son apport a été très exagéré. C'est Korda qui a eu l'idée de l'intrigue. Greene a simplement donné une ébauche, et c'est Carol qui a apporté le reste. Et Carol aurait mérité qu'on salue sa contribution bien plus que ça n'a été le cas. Graham a écrit le roman après que le film a été mis en boîte. En plus, il avait conçu le personnage de Harry Lime (interprété par Welles, ndlr.) comme un de ces types au bout du rouleau, creux, qu'il y a dans tous les livres de Graham Greene, ce qui n'était pas du tout l'image que j'en avais. J'ai dit: Non, ce doit être quelqu'un de fascinant. On doit comprendre pourquoi il tient toute la ville dans sa main. (...) J'ai écrit chaque mot que je prononçais, tous les dialogues, parce que c'est ce que c'est ce que Carol voulait de moi. Y compris la réplique du coucou."

A propos de cette réplique devenue historique, Orson Welles ajoute: "Je dois reconnaître que c'est injuste, parce que ces pendules sont fabriquées en Forêt-Noire, qui n'a rien à voir avec la Suisse ! Et je le savais déjà quand j'ai écrit cette répartie. Et ce qu'ils m'ont envoyé comme lettres, les Suisses !

HJ: Il y a toute une génération de Suisses qui te haïssent à cause de ça.

OW: Tout en faisant semblant d'en rire. Tu sais, cette façon qu'ils ont de s'esclaffer quand ils veulent montrer qu'ils ont le sens de l'humour ? Dans le genre: "Ho, ho, ho ho ho, votre blague à propos du coucou ... Mais vous savez, la pendule à coucou ne vient pas de Suisse." Et moi: "Je sais, je sais." On n'a jamais rien affirmé rien de plus mensonger juste pour faire rire dans un film. Le matin où nous avons tourné la scène, je suis allé voir Carol et lui ai dit: "Et si je sortais ça ?" Il s'est exclamé: "Oui! ", et donc on l'a faite comme ça.

HJ: Greene est crédité pour le scénario. Est-ce qu'il a soulevé des objections à ce que tu écrives les dialogues ?

OW: Non. Parce qu'il ne prenait pas le film au sérieux. Il m'a donné une réplique que j'étais censé dire tout en haut de la grande roue du Prater: "Regardez ces gens en bas. On croirait des fourmis." Plus cliché que ça, c'est impossible."

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Karl-Marx Hof (1927-1930), cité-ouvrière emblématique de la "Vienne rouge"

Où que l'on se promène, la "question" juive est inséparable de Vienne. Ils étaient 200 000 avant la guerre 39-45 dans la capitale autrichienne, 6000 aujourd'hui. "C'est une drôle d'erreur qui fut commise après-guerre, disait en 2012 Leon Zelman, survivant de Mauthausen. Personne n'a songé à dire aux juifs: revenez, soyez les bienvenus."

Sur les murs de Karl-Marx Hof, une plaque de bronze rappelle le nom de ceux que l'on a arrachés à leur appartements sociaux pour les amener dans les camps de la mort.

Une amie nous attend à la gare de Heiligenstadt, juste en face. Elle nous emmène sur les collines à travers des villages vignerons transformés en résidences cossues et restaurants kitsch à Wienerschitzel. En haut, quelques enfants lugeurs profitent de la première neige. Il y a trop de brouillard pour voir la ville. Après le repas, elle nous emmène chez elle où elle a préparé un Apflelstrudel et des décorations de Noël. Tandis qu'elle prépare le café, je découvre dans sa bibliothèque, au milieu de livres sur les Dolomites et le développement personnel un exemplaire de "Mein Kampf" daté de 1939, dans son étui cartonné. Il devait appartenir à son père, dont tout ce que j'apprendrai est qu'il a été prisonnier des Russes à la fin de la guerre. 

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Friedmann-Platz

De la "question" juive à la "question" palestinienne, il n'y a que quelques pas. Sur la place ci-dessus deux membres de la communauté juive, Nathan Fried et Sarah Kohut, ont été abattus en 1981 par deux terroristes palestiniens, 39 autres ont été blessés. A l'époque, le chancelier Bruno Kreisky fut critiqué pour ne pas avoir assisté à la cérémonie funèbre des victimes et avoir fait allusion à la responsabilité de l'Etat d'Israël pour sa "politique impersonnelle envers les Palestiniens".

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En face d'un des plus vieux restaurants de Vienne (le premier établissement date de 1447), le Fenster Café de Grienchengasse propose un breuvage délicieux, à un prix doux.

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Le carrelage (volontairement irrégulier) de la cafeteria du Musée Hundertwasser, Untere Weissgerberstrasse.

"Le temps est venu.

Le temps de la surveillance est passé.

Le temps d'attendre le paradis est passé.

Le temps des discours stériles est passé.

Le temps de faire est arrivé.

Je rends les maisons aux hommes.

Pas pour faire semblant, mais réellement.

A partir de maintenant tout habitant de cages semblables

à des prisons a le droit et le devoir de les modifier de sa

propre main.

A l'extérieur et à l'intérieur, exactement là où il habite.

Sans être mis sous tutelle.

Il commence à peindre

sa porte blanche standard sur le couloir,

les encadrements blancs standards de ses fenêtres

en rouge ou en vert, ou comme bon lui semble.

Surtout àl'extérieur

afin qu'il puisse reconnaître sa fenêtre

quand il rentre chez lui, fatigué.

Malheur à l'administration,

Malheur à la loi ou à quoi que ce soit

qui lui interdira ce qui va de soi.

Malheur aux architectes !

Tout architecte a pour mission d'exiger et d'obtenir

pour les habitants de la maison qu'il est en train de

construire ou qu'il a construite le droit individuel absolu de modifier la construction !

Sinon sa conscience ne le laissera pas en paix !"

(Hundertwasser, 7 mars 1968)

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Hintere Zollamtsstrasse, cinquante ans après le manifeste de Hundertwasser.

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Stadtpark

"Le crépuscule fondait sur le monde comme un oiseau de proie. Les premiers réverbères s'enflammaient. Un homme qui boitait se mit en travers de son chemin. Il portait sur le dos et sur la poitrine des affiches aux slogans provocateurs. Ca commençait par un "Camarades !" et puis: "La misère des invalides est sans bornes. Le Gouvernement est incapable !" Et cela continuait sur le même ton. Ceux-là, c'étaient des beaux ! Des mendiants, des pickpockets, des cambrioleurs. Ceux qui étaient vraiment invalides, on pouvait les compter sur les doigts d'une main. Ca faisait semblant d'avoir mal. Ca prétendait être infirme. Du beau monde ! Et le Gouvernement laissait faire."

(Joseph Roth, "La Rébelion")

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Stadtpark, statue d'Anton Bruckner

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Salle d'apparat de la bibliothèque nationale

En 2018, la Bibliothèque nationale autrichienne célèbre ses 650 ans d'existence. Si la visite de la salle d'apparat du XVIIIe siècle tient un peu de l'immersion dans une chambre mortuaire, ce qu'on y dévoile de l'histoire de l'institution laisse pantois d'envie et d'admiration. De la Bible de Gutenberg aux cartes de géographie uniques ou aux lettres de Peter Handke en passant par un papyrus du XIIe siècle où une femme arabe fustige son mari volage, la quantité et la qualité des documents réunis dans la bibliothèque tient du miracle quand on songe aux vicissitudes de l'Histoire.

Dès les débuts, les princes ont cherché à agrandir leurs collections. Leur curiosité s'étend à toutes les nouvelles terres découvertes, la bibliothèque et ses ouvrages en multiples langues reflètent les contacts et l'expansion de l'empire. Elle témoigne aussi de sa chute brutale en 1918. Que va devenir la bibliothèque, comment l'appeler ? Dans les années 20, elle se mue - virage à 180 degrés par rapport à son passé cosmopolite - en défenseur des minorités allemandes et de leur langue, tout en s'ouvrant à... l'esperanto, comme pour compenser cette trahison.

Aujourd'hui, ses collections en bonne partie numérisées sont accessibles en ligne.

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La vue depuis la tour sud de la cathédrale St. Stephan (343 marches à grimper).

"A Vienne, tout ce qui comportait couleurs ou musique devenait occasion de festivités, les processions religieuses comme la Fête-Dieu, les parades militaires, la "Musique du Château impérial" ; même les funérailles attiraient un grand concours de peuple enthousiaste, et c'était l'ambition de tout Viennois d'avoir "un beau convoi" avec un cortège fastueux et une suite nombreuse; un vrai Viennois métamorphosait sa mort même en spectacle attrayant pour les autres."

(...) "A L'Opéra de Vienne, au Burgtheater, on ne laissait échapper aucune imperfection : toute fausse note était aussitôt remarquée, toute rentrée incorrecte ou toute coupure censurée, et ce n'étaient pas seulement les critiques qui exerçaient ces contrôles lors des premières mais, soir après soir, l'oreille attentive du public tout entier, affinée par de perpétuelles comparaisons. Tandis qu'en matière de politique, d'administration, de moeurs, tout allait assez tranquillement son train et que l'on manifestait une indifférence débonnaire à toutes les veuleries et de l'indulgence pour tous les manquements, dans les choses de l'art il n'y avait pas de pardon ; là, l'honneur de la cité était en jeu." 

(Stefan Zweig, "Le Monde d'Hier")

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Opéra

Vienne a été bombardée plus de cinquante fois pendant le Deuxième guerre mondiale, et quelque 87 000 maisons et bâtiments ont été détruits, soit environ 20% de la ville. Parmi eux, une partie de l'Opéra (on le voit ci-dessous après la guerre, avec un portrait de Staline accroché sur le devant). Malgré ces chiffres impressionnants, la capitale autrichienne a été en fait moins pilonnée que des villes allemandes comme Dresde. Ce sont surtout les usines d'avions et de locomotives de la voisine Neustadt qui ont été visés.

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Immeuble Sécession,, Friedrichstrasse.

"Il gravissait en rêve le grand escalier d'une somptueuse maison où, dans les premières semaines de son séjour à Vienne, il allait donner des leçons. Deux hommes sur le palier, en haut, ne lui prêtaient pas attention. Soudain, une voix stridente retentit derrière eux, comme pour donner un ordre - se tournant alors vers lui, les deux hommes le chassèrent à coups de pied au bas de l'escalier. mais en bas, assis sur une banquette en velours, le monsieur de la Sophiensaal tenait sur ses genoux la petite fleuriste ; ils mangeaient des marrons grillés, et ne reconnurent pas Franz, ce qui le rendit furieux. Il les interpella en criant - mais ils ne l'entendirent pas. Et tous ceux qui passaient par là, des centaines, des milliers de gens, s'esclaffaient et se moquaient de lui. Il voulut alors distribuer des coups autour de lui, mais il était incapable de faire le moindre mouvement...

Il se réveilla en sursaut et se leva. Visiblement tirée d'un profond sommeil, la femme se dressa dans le lit, très mécontente. Elle s'habilla sommairement, enfilant des pantoufles déchirées. Franz dut lui donner presque tout le reste de son argent et partie en hâte."

(Arthut Schnitzler, "Un Bienfait n'est jamais perdu").

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Ecole d'équitation espagnole

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Café Sluka

"Et chaque fois c'est comme un miracle quand se révèle tout à coup, après ces périodes d'avachissement, une petite remontée de l'âme, comme ce fut alors le cas. De la stagnation de l'esprit en ces deux dernières décennies du XIXe siècle s'était brusquement élevée, dans toute l'Europe, une sorte de fièvre ailée. Personne ne savait exactement ce qui était en train ; personne ne pouvait dire se ce serait un art nouveau, un homme nouveau, une nouvelle morale, ou encore un reclassement de la société. C'est pourquoi chacun en disait ce qui lui agréait. Mais partout, des hommes se levaient pour combattre des vieilleries. En tous lieux, brusquement, l'homme qu'il fallait se trouvait là ; enfin, fait sssentiel, les inventeurs intellectuels faisaient alliance avec les inventeurs pratiques. Des talents se développaient, qui naguère avaient été étouffés ou maintenus à l'écart de la vie publique."

(Robert Musil, "L'Homme sans qualités").

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Wienfluss, pont ferroviaire

"Un obstacle majeur s'est très tôt opposé à ce projet : le refus des grandes institutions autrichiennes de prêter les chefs-d'oeuvres de Klimt et de Schiele, en particulier du premier, les grands portraits à

fond d'or . Sans eux, pareille exposition était privée de son aspect, non seulement visuellement le plus éblouissant, mais aussi le plus méconnu du grand public . En outre, les valeurs d'assurances de ces

oeuvres - un tableau de Schiele s'est récemment vendu à New York près de 3 milliards d'anciens francs - rendaient leurs prêts quasiment impossibles . C'est donc au niveau le plus haut, lors de la visite rendue à M. François Mitterrand par son homologue autrichien, M. Kirchschlager, que la décision a finalement pu être prise, l'Etat autrichien acceptant de faire voyager les chefs-d'oeuvre de son patrimoine et leur accordant, en outre, une garantie statale."

(Dossier de presse de l'exposition "Vienne 1880-1938" au Centre Pompidou, 1986)

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Gerhard-Bronnerstrasse

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"Je me rendis donc à Vienne, la triste et sensuelle Vienne. Le souvenir le plus marquant que j'en garde, c'est celui d'une aventure avec une fille ravissante. C'était comme le dernier chapitre d'un roman victorien: nous nous fîmes des déclarations passionnées et de tendres adieux, en sachant que nous ne nous reverrions jamais."

(Charlies Chaplin, "Histoire de ma vie")

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Canettistrasse

"- Le Comte: Quel âge as-tu exactement?

- La Fille: Ben, d'après toi?

- Le Comte: Vingt-quatre?

- La Fille: Hé ben c'est ça!

- Le Comte: Davantage?

- la Fille: J'vais sur vingt ans.

- Le Comte: Et depuis combien de temps es-tu...

- La Fille: Voilà un an que je fais le métier.

- Le Comte: Hé bien tu as commencé de bonne heure.

- La Fille: Mieux vaut trop tôt que trop tard.

- Le Comte, s'asseyant sur le lit: Et dis-moi un peu, est-ce que tu es heureuse?

- La Fille: Quoi ?

- Le Comte: Enfin, je veux dire, est-ce que tout marche bien ?

- La Fille: Oh ! Moi, ça va toujours !

- Le Comte: Tant mieux... Mais n'as-tu jamais songé que tu pourrais faire autre chose ?

- La Fille: Et qu'est-ce que je pourrais bien faire ?

- Le Comte: Pourtant... tu es quand même une très jolie fille. Tu pourrais par exemple avoir un amant.

- La Fille: Non mais, est-ce que tu crois que je n'en ai pas ?

- Le Comte: Oui, je sais bien... mais je veux dire un amant... qui t'entretienne pour que tu n'aies pas besoin d'aller avec le premier venu.

- La Fille: Mais je ne vais pas avec le premier venu. Dieu merci, j'en suis pas là: je les choisis.

Le Comte regarde tout autour de lui dans la chambre. Elle le remarque.

- La Fille: Le mois prochain, nous irons habiter en ville, dans la Spiegelgasse.

- Le Comte: Nous, qui ça ?

- La Fille: Eh bien, la patronne et les autres filles qui habitent ici.

- Le Comte: Ah ! Il y en a d'autres...

- La Fille: Là, à côté, t'entends rien ?... C'est Milli, celle qu'était au café avec moi.

- Le Comte: Il y a quelqu'un qui ronfle.

- La Fille: Sûrement, c'est Milli ; elle va ronfler comme ça toute la journée, jusqu'à dix heures du soir. Après elle se lève et elle va au café.

- Le Comte: Mais c'est une vie épouvantable.

- La Fille: Bien sûr. D'ailleurs la patronne elle enrage... Moi, je suis déjà dans la rue à partie de midi.

- Le Comte: Et qu'est-ce que tu fais à midi dans la rue ?

- La Fille: Ce que je fais ? Ben, le tapin, pardi !

- Le Comte: Ah ! oui... c'est vrai (Il se lève, tire un portefeuille de sa poche et dépose un billet sur la table de nuit). Adieu.

- la Fille: Tu t'en vas déjà... Salut... A bientôt, hein ? (Elle se couche sur le côté)

(Arthur Schnitzler, "La Ronde").

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"Je suis l'insecte, Madame, qui ose vous supplier d'ordonner à M. le Stadthalter Schrotenback de différer encore huit jours à m'écraser avec la pantoufle de Votre Majesté Impériale. Il se peut qu'après ce peu de temps non seulement il ne m'écrasera plus, mais que vous retirerez de sesmains l'auguste pantoufle que vous ne lui avez confiée que pour écraser les coquins, et non pas un homme vénitien malgré sa fuite des plombs, et profondément soumis aux lois de Votre Majesté Impériale."

(Casanova, 21 janvier 1767, "Histoire de Ma Vie").

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Stadtpark, hôtel Intercontinental

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Hilton, Vienne Mitte

"A cela s'ajoutait que durant cette dépression des valeurs où les gens en Autriche avaient perdu toute mesure, bien des étrangers avaient reconnu que chez nous il était fort avantageux de pêcher en eau trouble. Les seules valeurs demeurées stables dans le pays pendant l'inflation - qui dura trois ans et dont le le rythme se précipita de plus en plus -, c'étaient les monnaies étrangères. Les couronnes autrichiennes fondant entre les doigts comme gélatine, chacun voulair des francs suisses, des dollars américains, et une foule considérable d'étrangers exploitaient cette conjoncture pour dévorer le cadavre palpitant de la couronne autrichienne. On "découvrit" l'Autriche qui connut une funeste "saison touristique". Tous les hôtels de Vienne étaient pleins de ces vautours ; ils achetaient tout, depuis la brosse à dents jusqu'au domaine rural, ils vidaient les collections des particuliers et les magasins d'antiquité avant que les propriétaires, dans leur détresse, soupçonnassent à quel point ils étaient dépouillés et volés. De petits portiers d'hôtel venus de Suisse, des sténodactylographes de Hollande habitaient les appartements principers des hôtels du Ring."

(Stefan Zweig, "Le Monde d'hier").

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Gare, Vienne Mitte

"Lutte millénaire pour l'Europe, mission millénaire confiée par l'Europe, foi millénaire en l'Europe.

Pour nous, qui demeurons sur le sol de deux empires romains, Allemands, Slaves et Latins, élus pour porter un sort et un héritage communs - pour nous, en vérité, l'Europe est la valeur fondamentale de la planète, pour nous l'Europe sera la couleur des étoiles, lorsque dans le ciel dégagé des étoiles recommenceront à scintiller au-dessus de nous."

(Hugo von Hofmannstahl)

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Café Sluka, salon des miroirs

Les photographies de ce portfolio ont été réalisées du 12 au 16 décembre 2018 avec un Rolleiflex, film Kodak TMax 400 développé au D76, négatifs scannés. Les vignettes ont été faites avec le téléphone portable ou proviennent de la Bibliothèque nationale et de recherches sur internet.

© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation 

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