En Corse

À bord du Pasquale Paoli

À bord du Pasquale Paoli

Départ de Bastia sous un ciel d'orage

À bord du Pasquale Paoli
N'en déplaise à Napoléon...
La Corse est plus italienne que Française. C'est assez logique: du XIè au XVIIIè, hormis un court intervalle français, l'île fut sous contrôle des principautés de Pise et surtout de Gênes, dont les tours et citadelles festonnent les côtes.
N'en déplaise à Napoléon...
Le héros corse que je préfère est Pascal (Pasquale) Paoli. Le 6 avril 2025 (certains fixent sa date de naissance au 8 avril), cela fera exactement 300 ans qu'il est né à Morosaglia, dont vous voyez des images dans cette galerie. Il est mort à Londres, en exil, en 1807. Entre deux, ce fils de notable et militaire a grandi ans une famille où l'amour pour la patrie et le désir de liberté sont omniprésents. Il n'a que 14 ans quand sa famille fuit à Naples après une révolte étouffée par Gênes. Lecteur de Montesquieu, Rousseau et Machiavel, Paoli joue un rôle crucial dans l’établissement d’une République corse (brièvement) indépendante entre 1755 et 1769. Élu général en chef, il rassemble des troupes, son charisme, sont habileté politique et ses réformes amènent une expérience unique de souveraineté insulaire en Europe, à l'époque où les idées des Lumières commencent à se diffuser.
Comme celle de Napoléon, l'histoire de Paoli a été passablement idéalisée. Fut-il vraiment le concepteur, sinon le rédacteur d'une Constitution démocratique si avancée que les Américains s'en inspirèrent peu après? Les spécialistes de la question sont dubitatifs. Toujours est-il que ce jeune chef plein de ressources attira l'attention sur lui et la Corse loin à la ronde. En visitant sa maison natale à Morosaglia, je me souviens avoir lu qu'un prince d'Afrique du nord le couvrit de cadeaux: animaux sauvages, étoffes précieuses, bijoux... Quand son bref gouvernement républicain prit ses quartiers à Corte au centre de l'île et y créa en 1765 la première université, qui rend aujourd'hui encore cette ville plus vivante que les autres, une certaine Letizia Bonaparte fréquenta régulièrement ses salons, dont elle semblait apprécier le luxe. Napoléon Ier fut lui-même un admirateur de Paoli, même si une rupture momentanée se produisit entre les deux familles - les Bonaparte se ralliant tôt à la France révolutionnaire, tandis que Paoli gardait une prudente distance face au régime de la Terreur sévissant en France métropolitaine.
En 1769, l'expérience républicaine et indépendantiste corse prit fin à la bataille de Ponte Novo, Paoli s'exila en Angleterre, où il bénéficiait de nombreux soutiens. Il revint brièvement en Corse, accueilli en triomphateur, mais ses rapports avec une France qui allait se transformer en empire étaient décidément empreints de méfiance: cinq ans plus tard, il quitta définitivement l'île. Ce n'est qu'en 1889, plus de 80 ans après sa mort, que ses cendres furent rapatriées dans son village avec moult flonflons et discours.
Cette destinée peu ordinaire, l'audace d'une expérience politique novatrice dans un environnement tourmenté, aussi bien géologique que social et politique, où tout semble concourir à la division, au conservatisme jaloux font que, après un bref passage dans la maison de Napoléon à Ajaccio, c'est la vie de Paoli qui a servi de fil rouge à ce petit voyage de dix jours en Corse. Des falaises de Bonifacio, nous sommes remontés par la côte est, puis dans la belle vallée qui conduit en pente douce à Corte. J'ai préféré cette ville aux deux principales de Corse, l'ai trouvée plus accueillante et authentique, sans parler des magnifiques itinéraires de balade que proposent les vallées alentour. Puis nous avons suivi la D71 jusqu'au village natal de Paoli. Après un petit col à mille mètres, nous sommes redescendus sur la côte par maints lacets au milieu desquels surgissent les ruines du couvent d'Orezza - autre haut lieu de l'identité indépendantiste corse.
La deuxième découverte a été Saint-Florent (où Paoli embarqua pour son exil définitif) et le désert des Agriates.
Il y a un charme particulier à visiter la Corse en mars: certes, nombre de cafés sont fermés, les bateaux emmenant les touristes dans les calanques ne sont pas encore en service; dans les villages, on manie la perceuse, le tournevis et le pinceau en prévision de la saison à venir; les nuages sculptent davantage le ciel - ce qui est toujours mieux pour un photographe. Et les gens ont le temps de vous sourire. Belle découverte, donc.
Corse, mars 2025. Leica M11 + apo-Summicron 35mm. et apo-Ultron 90mm.
© Jean-Claude Péclet 2025