
"Zeit für Hoffnung"

Bahnhofstrasse

Europaallee

Bahnhofstrasse

Bahnhofstrasse
Qui n'est pas allé à Zurich depuis quelques années - c'était mon cas en ce mois de juin 2025 - perd un peu le nord en sortant de la gare principale. Auparavant, "l'aiguille de la boussole" était le monumental portique qui débouchait (au sud, à vrai dire) sur la statue d'Alfred Escher et, dans l'enfilade la Bahnhofstrasse, tout droit jusqu'au lac.
Escher est un véritable condensé d'helvétitude: pionnier des chemins de fers, fondateur du Crédit Suisse, plusieurs fois président du Conseil national. C'est grâce à d'entreprenants gaillards dans son genre que la Suisse est passée en cinquante ans de la semi-pauvreté au statut de pays développé. Et c'est à la Bahnhofstrasse que les riches étrangers viennent dépenser leurs écus sonnants et trébuchants. Tout ceci est réglé comme un joli chronomètre. Donc: suivre le hall de la gare au bout des voies, virer à droite sous l'arc du portique, pas moyen de se tromper.
Ça, c'était avant. Avant que la gare de Zurich (dites: Hauptbahnhof) multiplie les étages en sous-sol et, plus récemment, ouvre ses ailes. Plus exactement, elle a jeté au feu le corset qui l'enserrait de chaque côté des voies, elle s'est dégagée, ébrouée, ouverte sur les côtés. Et cela change pas mal de choses,
Un nouveau quartier est né sur son flanc sud, le long de la Europaallee. Le nom annonce le programme. Les gens qui vivent, passent, mangent, travaillent, respirent ici sont globaux, ouverts au monde, cool. C'est-à-dire: le nez sur l'écran du smartphone ou les écouteurs vissés sur les oreilles, avalant distraitement un bowl de noodles ou un veggie burger - pourvu que le nom soit en anglais. Quand j'y suis passé, il y avait l'embarras du choix à cause d'un "Food Festival" alignant ses trucks.
Sous le généreux soleil, on se sentait vraiment "ready for summer", prêt à enfourcher son bike, à suer dans un fitness ou à manier le sabre japonais (si, je l'ai vu!) dans la cour intérieure de UBS Palace. Une atmosphère awfully nice! De la pièce d'eau triangulaire où barbotait bébé, surveillé par un papa moderne grignotant un sandwich, aux food courts ombragées des cours intérieures, sans oublier les élégants bancs de bois, tout ceci faisait penser qu'une telle architecture a dû être sacrément pensée. Sans doute par les mêmes gens qui ont imaginé celle de Singapour, Seattle ou Londres... - mais l'important n'est-il pas de retrouver ses repères?
C'est donc par là que j'ai commencé mon petit périple de street photography (Cartier-Bresson aurait dit "images à la sauvette", mais c'est démodé, soulignant aussi que je n'ai pas demandé d'autorisation écrite en trois exemplaires pour chaque prise de vue). De la Europaallee, je suis passé aux maisons ouvrières (début XXème siècle) de la Heinrichstrasse, serties dans leur écrin de verdure, reconverties en charmants nids bobos. Au passage, j'ai fait un pèlerinage au magasin Ars-Imago, indispensable fournisseur de tous ceux qui s'obstinent à pratiquer la photo argentique.
Après un rafraîchissement sous les arches du Letten-Viadukt, j'ai poursuivi mon chemin vers la Escher-Wyss Platz, désert de goudron et de béton où s'entrecroisent sur deux étages trams et voitures venus de toutes les directions, et le Industrie Quartier, d'où on a une vue imprenable sur la Prime Tower, orgueil de la ville. J'ai achevé ce premier tour en revenant sur la Langstrasse, "red light district" de Zurich, plutôt morne à l'heure où j'y suis passé, terminus à l'Helvetia Platz, ornée en ce moment d'un drapeau palestinien géant dessiné à même le sol.
Le lendemain matin, j'ai voulu vérifier si la Bahnhofstrasse, qu'on dit essoufflée à l'époque où les mêmes articles de luxe se retrouvent dans d'identiques boutiques du monde entier, de Rio à Dubai. Je peux vous rassurer: la clientèle est encore là, les banquiers aussi.
Tout ceci, dans un rayon inférieur à deux kilomètres, compose un sacré birchermuesli, et c'est ce que je vous propose de regarder dans la galerie ci-dessus.
Zurich, 17 et 18 juin 2025. Leica M11 + apo-Summicron 35mm.
© Jean-Claude Péclet 2025