top of page

150 ans de "lex · justitia · pax"

TF23.jpg

Le monsieur qui m'a accueilli dans l'escalier monumental avait un sourire si avenant que je l'ai pris pour un huissier. C'est en regardant son badge que j'ai lu: «Bundesrichter». J'avais en face de moi un des 40 juges fédéraux. Nous avons bavardé cinq minutes sur son métier, le nombre d'affaires secondaires encombrant la plus haute juridiction de Suisse, comparé ce système à d'autres… Mon interlocuteur était précis, clair, aimable. Pendant les deux heures qu'a duré ma visite, j'ai pu parler ainsi à trois de ses collègues, tous aussi disponibles.

 

Le Tribunal fédéral célèbre cette année ses 150 ans d'existence et marque cet anniversaire, entre autres, par des journées portes ouvertes. Il fallait s'inscrire plusieurs semaines à l'avance, les billets d'entrée (gratuits) se sont arrachés. C'est un signe. Dans une époque marquée par la défiance des citoyens envers les politiciens et dans une moindre mesure envers les institutions, la plus haute instance judiciaire helvétique constitue une heureuse exception. Pas d'âcre débat sur la politisation des juges nommés à vie par un président fortement marqué idéologiquement : en Suisse, les juges fédéraux sont élus par le Parlement, tous les six ans, sur proposition de sa Commission judiciaire, en respectant la représentation proportionnelle des partis. Une initiative proposant de les élire par tirage au sort a été nettement rejetée en 2021.

 

Le système fonctionne. Il lui arrive d'être surchargé par les recours toujours plus nombreux, mais ce n'est pas le cas en ce moment, dit son président François Chaix à une foule attentive venue l'écouter dans la salle d'audience.

 

D'abord installé au Casino de Lausanne, puis à Montbenon, le TF a emménagé dans son siège actuel en 1927. Celui-ci a été dessiné par l'architecte vaudois Alphone Laverrière, en collaboration avec les Neuchâtelois Louis-Ernest Prince et Jean Béguin (le concours fut chahuté). Le bâtiment est solennel, comme il se doit, en particulier la porte aux cariatides de marbre noir donnant sur la grande salle d'audience. Les lustres et les tapisseries, d'inspiration art déco, ont été soigneusement préservées. Sur les murs des salles de délibération s'alignent, dans leurs cadres ovales et dorés, les portraits souvent moustachus et barbus des juges qui s'y sont succédé (la première femme, Margrith Bigler-Eggenberger, ne fut élue qu'en 1974, à une courte majorité ; aujourd'hui, elles sont 15 sur 40).

 

L'ensemble dégage l'impression d'un héritage à préserver, à accroître sans précipitation. Ici on travaille posément, sous le regard bienveillant mais attentif de ceux qui nous ont précédés; on affine le droit comme le fromager son gruyère - ou le maçon façonnant son mur de pierres sèches, l'une après l'autre, soigneusement ajustées. Non que la matière traitée soit abstraite, exempte de passions. C'est même le contraire, comme le montrent quelques exemples d'arrêts récents affichés dans les pas perdus. En 2019, le TF a annulé une votation populaire sur l'imposition des couples mariés parce que la brochure informative du Conseil fédéral précédant le scrutin contenait une erreur grossière. En 2024, dans un registre plus anecdotique, le TF a débouté un collectionneur allemand qui voulait revendre une montre Patek. Celle-ci avait été offerte par Yoko Ono à John Lennon peu avant la mort de ce dernier, en 1980, puis volée par le chauffeur de Yoko Ono. Même en admettant que le collectionneur était de bonne foi, a jugé le TF, il ne pouvait acquérir un objet dérobé, selon le droit allemand applicable en l'espèce.

 

La vie du Tribunal fédéral est un mélange d'enjeux portant sur des principes essentiels et de querelles mesquines. Il a eu à juger des espions, des anarchistes, des fascistes, des voisins ou des couples fâchés. Parfois il aimerait trier davantage les dossiers qu'il traite, mais les Suisses aiment l'idée que leurs droit puissent être défendus jusqu'au plus haut niveau. Théoriquement d'ailleurs, chaque citoyen éligible peut se présenter comme candidat à un poste de juge fédéral, indépendamment de tout diplôme.

TF13.jpg

La bibliothèque

TF11.jpg
TF12.jpg
TF10.jpg
TF15.jpg

Lustre de la grande salle d'audience

TF9.jpg

Lustre de couloir

TF4.jpg

Grande salle d'audience

TF17.jpg

Porte d'entrée de la salle d'audience

TF21.jpg
TF22.jpg
TF14.jpg
TF1.jpg
TF26.jpg

Escalier principal

TF3.jpg

Le président du TF François Chaix s'adresse au public

TF20.jpg

Un objet de fascination durant cette visite a été le travail, superbe, des boiseries dans les différentes salles. Probablement parce que certains de mes ancêtres maternels furent de la partie, ouvriers-marqueteurs. Je ne sais si c'est mon esprit mal tourné façon Rosrschach ou si la même impression vous habite, mais je vois dans ce panneau un monstre prêt à claquer son bec sur ma petite personne.

Lausanne, Tribunal fédéral, Mon-Repos, 13 septembre 2025.

Leica M11 + apo-Summicron 35mm.

© Jean-Claude Péclet 2025​​

CONTACT:

peclet@gmail.com

bottom of page