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Hongrie, 1986

C'était notre premier voyage en famille "outre-rideau de fer", et une des dernières occasions de le faire. Le rideau rouillé tremblait sur ses gonds, particulièrement en Hongrie, par où s'enfuiraient des milliers d'Allemands de l'Est trois ans plus tard, avant que le mur s'ouvre à Berlin aussi.

Vincent, notre fils aîné âgé alors d'un an (nous ne savions pas encore qu'il y en aurait un second) et Sam le labrador nous accompagnaient dans le break Peugeot - notre première voiture achetée neuve. Il avait été savamment agencé par Wendy, qui sait élever le rangement au rang d'un art. Après une halte à Vienne, nous avons passé la frontière sans problème et avons commencé notre périple en suivant la coure du Danube. Je me souviens d'un camp de vacances vide où nous avons pris le petit-déjeuner, seuls, dans une halle immense. Les prix étaient dérisoires.

À Budapest, nous logions dans un hôtel moderne de la rue Utça, très fréquentée. Certain matin, un vieux monsieur est venu serrer la main de Vincent, le félicitant de se comporter en "gentleman" - c'est-à-dire qu'il ne réclamait pas, ne criait pas et mangeait sans renverser ses aliments sur la table ou par terre. Vincent n'a rien compris à cette poignée de mains chaleureuse, mais nous étions fiers à sa place.

La rue Utça, coquette, accueillait le flot naissant des touristes. Mais il suffisait de se déplacer de deux ou trois parallèles dans le Budapest non rénové pour voir des façades encore criblées des balles tirées pendant l'insurrection et la répression soviétique de 1956. J'avais six ans cette année-là et, découvrant la photo d'un tank étalée sur toute la largeur de la "une" de la Tribune de Lausanne posée sur la tale à manger, j'avais compris qu'il se passait quelque chose d'inhabituel et de grave. Quand la Russie a envahi l'Ukraine, cette image m'est revenue.

J'ai aimé pénétrer dans les cours intérieurs des vastes ensembles construits à Budapest à la fin du XIXème siècle, quand l'empire austro-hongrois lançait ses derniers feux. Impressionnantes et sombres, elles expriment la collision de deux époques également déprimantes - la bourgeoisie expirante et le communisme résigné. Résignée aussi, sous son air caporalesque, la dame vendant les billets sur un carrousel antédiluvien. La ville a probablement beaucoup changé depuis, je n'y suis retourné qu'une fois, en coup de vent.

Puis nous avons fait cap sur l'Est, traversant la puszta, jusqu'à quelques kilomètres de la frontière russe. Les campements étaient déserts (les touristes, allemands surtout, se concentrant autour du lac Balaton), les musées et les magasins aussi. On y trouvait tout de même des Lego hongrois, dont nous avons compris en revenant chez nous qu'ils ne s'emboitaient pas avec les originaux. Le parc Hortobagy était déjà, si je me souviens bien, une reconstitution d'agriculture traditionnelle qui n'avait pas grand rapport avec les méthodes industrielles, et là encore, nous étions quasiment seuls. 

Je crois que ce sont les seules vacances où, même en cherchant à dépenser l'argent que nous avions budgeté, nous en avons ramené une bonne partie à la maison.

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