Bagnoles...
Au fil de mes balades photographiques, j'ai rencontré quelques carcasses automobiles. Certaines attendaient une hypothétique remise en état dans une grange vaudoise, d'autres gisaient abandonnées dans une décharge, quelques-unes circulaient encore, à Cuba par exemple (américaines de carrosserie mais dotées d'un moteur russe, ainsi dépasse-t-on la guerre froide!). Les images ci-dessus s'étalent sur plus de quarante ans, elles ont été faites au Hasselblad, à la chambre 4x5 pouces, avec un Leica IIIc ou un Nikon.
J'aime bien les voitures, comme objet photographique et en général. Enfin, j'aimais bien. Pour tout dire, c'est à cause d'une voiture que j'ai failli croire en Dieu à l'âge de 6-8 ans. C'était l'époque des grosses américaines aux calandres rutilantes et dont l'arrière s'évasait en ailes d'albatros. Dans un petit bazar de Renens, caverne dAli baba où j'achetais mes bonbons, j'avais repéré un modèle Dinky toys d'une Cadillac rose qui ressemblait fortement à ça.
Peut-être était-elle décapotable, avec des sièges couleur crème. Bien entendu, je n'avais pas les moyens de l'acheter. J'en rêvais la nuit. En m'endormant, pétri de cette conception utilitariste du divin qui habite l'esprit enfantin, j'ai murmuré au Seigneur que, même si cela ne faisait pas partie de ses priorités, ce serait vraiment très chouette si, à un moment perdu de ses longues journées, il pouvait penser à ma Cadillac rose Dinky toys.
Peu de temps après, je la trouvai sur la table de la salle à manger, dans son emballage de carton à hublot de plastique transparent. Offerte par mes parents. Allelulia, les miracles existaient donc! Ou, plus vraisemblablement, j'avais dû rêver assez fort pour que ils aient eu vent de mon envie...
Depuis, mes rapports avec le divin ont évolué. Ceux avec l'automobile aussi. Notre famille de quatre personnes partage une voiture hybride dont le compteur vient de passer les 200 000 kilomètres, nous n'en achèterons probablement plus d'autre. Une tonne, voire davantage, de métal et composants divers qui reste immobile la plupart du temps, ce n'est pas très rationnel - même si je suis très content de l'avoir pour m'emmener faire des photos dans des coins mal desservis en transports publics.
Et puis les voitures sont devenues ennuyeuses. Question de goûts et de générations, direz-vous, mais quand même... Est-ce moi qui ne sais plus voir les nuances, ou les automobiles fabriquées aujourd'hui sont-elles toutes pareilles ou presque? En gros, elles ressemblent à ça
Quelque chose comme l'accessoire raté d'un film de science-fiction à petit budget. Un croisement de Goldorak et des "transformers" avec lesquels jouaient nos garçons il y a trente ans. Du star trek aux yeux bridés conçu par un ordinateur auquel on a fait préalablement ingurgiter des normes de sécurité et d'aérodynamisme épaisses comme trois bibles, un corps bouffi de mauvaise graisse, de gadgets prétendûment indispensables.
Notez la couleur aussi. Je dis "la" couleur, car il n'y en a bientôt plus que trois: le noir, le blanc et le gris. Le gris surtout, comme celui de l'illustration ci-dessus, gris souris, gris muraille, gris passe-partout, gris de l'insignifiance, gris du ciel de pluie, gris des journées qui n'en finissent plus. Le gris qui "habillait" quand j'étais soldat les voitures de la police militaire, de sinistre mémoire pour ceux qui ont connu cet âge de plomb.
J'ai ma théorie sur ce gris. J'y vois l'aveu subliminal d'une industrie, d'une époque finissante qui ne sait pas encore de quoi sera fait le prochain chapitre. Alors elle se terre, elle essaie de passer inaperçue, de ne pas être tout-à-fait là, comme le dormeur lundi matin qui préférerait ne pas se réveiller.
Les carrosseries actuelles - drôles de carrosses! - me font plus pitié que les sympathiques épaves dont j'ai rassemblé quelques images dans cette galerie.